Moïse est la figure du Messie: un homme écartelé entre le ciel et la terre. Il appartient à Dieu et à la terre: à une terre maudite et à un Dieu qui est le saint. Cette double appartenance le déchire, le brise. Abraham ne connaît pas cette tragédie, car le peuple qui naîtra de lui est à naître: Abraham est seul avec Dieu, il n'est pas déchiré. Moïse au contraire vit une tragédie: il ne peut renier Dieu, et il ne peut renier Israël. Mais ne pas renier Dieu, cela veut dire en quelque manière être avec Dieu contre Israël - et ne pas renier Israël, cela veut dire être avec Israël contre Dieu. Tel est le drame de Moïse. Moïse était pour Dieu, et il était pour Israël. N'est-ce pas comme si déjà Moïse était élevé sur la croix ?
Si le prophète, annonçant le Messie comme "Serviteur de Yahvé" pensait à Moïse "serviteur de Dieu", certainement il ne voyait pas seulement en Moïse le chef d'Israël, mais le Médiateur entre Dieu et le peuple, celui qui par sa prière avait lutté contre Dieu pour obtenir la miséricorde et le pardon. Le "Serviteur souffrant", c'était au Sinaï Moïse, lorsqu'innocent des péchés du peuple il ne voulut pas se désolidariser de ses frères. (Peut-être le prophète vit-il dans la mort solitaire de Moïse au seuil de la Terre Promise, le prix qu'il avait dû verser à la divine justice pour la rémission du péché ? Nous ne pouvons l'affirmer avec certitude, mais cette pensée ouvre des horizons.)
Jésus est un avec le peuple pécheur, et il est un avec le Dieu de toute sainteté: cette union ou plutôt cette unité avec Dieu et avec les hommes le déchire et le brise - là se trouve le noeud de sa passion... Moïse est une figure du Christ, et jamais il ne l'est autant que dans cette scène. Tous les écrits rabbiniques, et même les évangiles, voient dans le Messie un "Moïse revenu à la vie". L'autre prophète, qu'au chapitre 18 du Deutéronome Dieu promet au peuple d'Israël, ne sera ni Élie, ni Jérémie: il ne sera nul autre que le Christ. C'est lui, le Christ, qui sera le chef du nouvel Israël - c'est lui qui pour le nouvel Israël mourra sur la croix, déchiré par sa double appartenance.
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